samedi 30 juin 2012



Interview : Huguette  Jones 

2012 fut une année pour le moins atypique ! En effet ce fut l’année des erreurs administratives (Gehol, inscriptions), l’année de réformes (Bacheliers et Masters), l’année de la session de la mort qui tue pour certains, mais cette année, est arrivée un évènement dont personne ne croyait qu’il allait arriver un jour : le départ de Madame Jones. Titulaire du cours de droit romain et d’Introduction au droit civil en BA1,  ancienne doyenne, présidente du Centre d’Histoire du Droit, Mme Jones a eu l’occasion, plus que quiconque de faire le tour de ce qui a de bon et de mauvais au sein de notre Alma Mater. L’occasion pour nous de lui demander une ultime interview sur ces « quelques » années passées entre les murs de notre faculté. Si elle se qualifie elle-même de « dinosaure », nous préfèrerons utiliser le terme de monstre sacré, car en effet Madame Jones est, et restera (nous le présumons iuris et de jure) encore pour de nombreuses années, LA professeur la plus emblématique de la faculté de Droit au même titre de Marcq, Vander Eycken, et les autre Jean Van Rijn. AVE madame Jones.


L.N. : Lorsque vous étiez étudiante, aviez-vous déjà à l'esprit de devenir professeur ?



H.J. : « Non, pas du tout. Je souhaitais travailler comme juge au tribunal de la jeunesse, et c'est pour ce motif précis que j'ai entrepris des études de droit. Et, aujourd’hui, je m'occupe de la jeunesse, mais pas la même... »



L.N : Quel genre d'étudiante étiez-vous ?



H.J. : « Profilée pour étudier. Lycée Jacqmain, humanités gréco-latines, très beaux résultats, donc vraiment beaucoup travaillé, beaucoup étudié. Très sage, peut-être même un peu trop sage avec le recul. Mais, je le reconnais, cela m'a bien réussi, et j'ai fait de très beaux grades. Je veux dire que la priorité des priorités était les études. »



L.N. : Comment s'est passé la toute première fois que vous vous êtes retrouvée face à des étudiants ?



H.J. :« Il y a deux premières fois. Il y a la première fois comme assistante et la première fois comme prof. Et donc, comme il y a eu une première fois comme assistante, cela a fort facilité les choses pour la première fois comme prof. En d’autres termes, je ne me suis pas trouvée d'emblée devant un auditoire de 500, 600, 700 étudiants, je me suis d'abord retrouvée devant un petit auditoire composé de 25 étudiants, et j'avoue qu’au départ, j'avais le « trac ». J'avais vraiment le « trac », parce que je pensais « Comment cela va-t-il se passer ? Vais-je être à même de leur apporter quelque chose ? Vais-je être pédagogique ? », et j'étais assez stressée. Et puis, après quelques minutes à peine, je me suis rendu compte que j'avais oublié mon stress... »



L.N. : Vous étiez comme un poisson dans l'eau alors ?



H.J. :« Très vite, oui. Peut-être cela tient-il aussi un peu à mon type de personnalité, je ne mets pas les barrières, je suis naturelle et espère que les étudiants m'acceptent telle quelle. Je n'ai jamais joué le rôle de l'assistante et je n'ai jamais joué le rôle du prof. Plus tard, quand je me suis trouvée devant un grand nombre d'étudiants, la première fois que je suis entrée dans un grand auditoire, c'est vrai que j'étais également stressée, je le reconnais volontiers. Mais moins stressée que si j'avais dû commencer immédiatement comme professeur. »



L.N. : Comment se sent-on lors de la dernière année où l'on enseigne ?



H.J. : « Oh, pas bien. Parce que c'est très triste, et en même temps, cela devrait être un moment heureux. C’est le moment de se retourner, de juger ce que l’on est parvenu à faire, et peut-être de se dire « j'ai quand même fait cela pas trop mal ». Mais c'est un moment très triste parce que cette fonction est une très très grande partie de ma vie. Quand j'ai entendu l'autre jour à la radio qu'il était question de permettre dans l’avenir aux personnes de prolonger leur vie professionnelle, j'ai eu une petite pensée fugace, et me suis dit «flûte! je pars juste un an trop tôt ». Si j'avais eu le choix de continuer quelques années supplémentaires, je crois vraiment que j'aurais continué. Les étudiants paraissent toujours satisfaits des cours que je leur fais et moi, j'aime toujours enseigner ! »



L.N. : Durant votre carrière de professeur, qu’est-ce qui vous a le plus enchantée ? Et le plus désenchantée ?



H.J. : « Ce qui m'a le plus enchantée comme professeur, je peux le dire, sans aucune hésitation, c'est la qualité de la relation que j'ai eue et que j'ai d’ailleurs encore avec les étudiants. Parce que cette relation est de très belle qualité et, finalement il y a une espèce de, complicité est peut-être un grand mot, mais d’entente, d’intelligence entre les étudiants et moi. Pas avec tous les étudiants bien sûr, mais avec ceux qui acceptent de communiquer avec moi. Par contre, ce qui m'a désolée et qui me désolera toujours, c'est qu'une partie importante des étudiants de première année ne s'investissent pas à fond. On a envie de leur expliquer, de leur montrer tout le positif qu'ils pourraient retirer des études qu'ils font, que ce soit celles-ci ou d'autres études d’ailleurs. Mais j'ai un peu l'impression que certains ne jouent pas le jeu, ceux que l’on désigne parfois par l'expression d’ « étudiants touristes », ces étudiants qui s’inscrivent et, en fin de compte, ne s'investissent pas en tant qu'étudiants et jamais on ne parvient à les accrocher. Malgré tout ce que l'on fait : guidance, test à blanc, examen à blanc, etc. Et ça, c'est vraiment désolant. Peut-être est-ce plus spécifique à des facultés comme les nôtres, qui ne demandent pas au départ un pré requis particulier. Par exemple, si vous êtes fort en sciences exactes et que vous vous inscrivez en géographie ou en géologie, peut-être avez-vous plus clairement en tête la représentation de ce qui vous attend et donc, êtes-vous plus investi. En droit, il n'y a pas de véritable prérequis, on part de zéro. On demande simplement la connaissance de la langue de l'enseignement et on construit le savoir de l'étudiant, on construit ses connaissances. Peut-être est-ce cela qui fait que l'image de ce que l'on croit trouver en droit ne correspond pas à la réalité et qui explique un pareil décrochage. Je trouve qu’à l'échelle humaine, c’est une immense gabegie. Parce que, si les étudiants qui ne s'investissent pas, avaient trouvé un autre projet de vie, là, on pourrait encore se réjouir en se disant « ils ne s'investissent pas en droit, mais ils vont s'investir dans autre chose », mais on n’a même pas cette certitude. Peut-être vont-ils sortir de l’université aigris, en se disant « J'en ai rien appris, on ne m'a rien appris, je n'ai rien à retirer de ce passage à l’université » et cela, c'est vraiment désolant. C'est peut-être inévitable dans un système où l'enseignement universitaire est ouvert au plus grand nombre et que j'approuve pleinement, que je considère comme indispensable, parce qu'il faut que le plus grand nombre puisse accéder à l'université. Mais c'est vraiment très triste de voir qu'on ne parvient même pas à intéresser une partie substantielle d'étudiants. Tant mieux s’ils sont (peut-être) en train de bloquer chez eux, trouvant plus expédient de travailler chez eux. Mais, quand je fais, par exemple, des séances d'examens à blanc, je considère que c’est tout de même quelque chose d'utile. Et cela m'inquiète de voir que trop peu d’étudiants y assistent. Mais je suis une femme. Nous n’avons pas la même sensibilité que les hommes... (rires) »



L.N. : Que pensez-vous de l'administration de l’ULB en général ?



H.J. : « Je pense qu'on y fait de bonnes choses, mais je pense qu'elle pourrait essayer de faire mieux. C'est bien sûr très général ce que je dis. Les difficultés résultent peut-être de la complexité des rouages. Nous sommes dans une université avec nombre d'échelons, nombre de structures, et ce fait complique sans doute les choses. Je persiste néanmoins à penser qu'il y aurait moyen de faire mieux. Chacun essaie de le faire, individuellement, à son niveau indiscutablement, mais l’ULB pourrait certainement faire encore mieux. Pas forcément dans tous les coins, mais dans certains coins. Pour que l'étudiant soit mieux accueilli, que son dossier soit plus vite traité, qu'il obtienne plus vite les bonnes réponses. Ceci dit, je n'ai jamais travaillé ailleurs qu’à l’université, donc j’ignore ce que cela donnerait dans une autre structure ; peut-être n’est-ce pas mieux. Je conclus seulement, parce que je crois qu'il faut être animé du sens de l'autocritique : peut mieux faire ».



L.N : Quel est votre point de vue sur la réforme des bacheliers ?



H.J. : «Alors là, les points de vue diffèrent ! À la revue, les étudiants l’ont représentée comme l'œuvre de professeurs complètement éméchés (rires). Évidemment, ce n'est pas ma réforme. Quand j'étais doyenne, j'ai négocié une autre réforme, mise en application année par année, et qui n'a pas vécu très longtemps, en tout cas pas suffisamment longtemps pour que l'on puisse émettre un jugement de valeur sur sa qualité. Et, aussitôt, on est passé à cette nouvelle réforme, qui répond à d'autres logiques. Il faudrait peut-être voir dans quelques années. Les étudiants ont participé, chaque membre de la commission a pu donner son avis, et la faculté a énormément travaillé. Personnellement, j'ai l'impression que la deuxième année va être très très difficile. Il faut, par exemple, que les professeurs de deuxième année vous traitent comme des étudiants de deuxième année. Je n'ai pas dit qu'ils ne vont pas le faire. Un certain nombre de cours exigeants de troisième sont descendus en deuxième, et, en soi, ce n'est évidemment pas irréalisable, mais je pense que cet aménagement ne va pas dans le sens de la facilitation du cursus. Peut-être que ce créneau très dur de la deuxième année va amener à des années supérieures beaucoup plus souples et plus fluides. C'est une réforme intéressante, il y en avait d'autres qu'on aurait pu réaliser, mais il faut voir sur la longueur. Ce qui serait souhaitable, sauf catastrophe qui normalement ne doit pas se produire, c’est de disposer d’un certain nombre d'années pour apprécier la qualité de la nouvelle réforme, et de ne pas devoir remodifier une nouvelle fois, de manière trop rapprochée, sans quoi cela deviendra perturbant pour les étudiants ».



L.N. : Vous avez été doyenne de la faculté de droit 2000 à 2004. Que vous a apporté cette expérience ? Regrettez-vous de l'avoir fait ?



H.J : « Elle m'a apporté énormément. Découvrir des structures et des mécanismes que l'on connaît relativement mal, parce que vous entrez dans la fonction sans disposer d’aucune préparation spécifique : il n'’existe pas de réel écolage en la matière. D’accord, on est d’abord vice-doyen, mais le vice-doyen ne fait pas ce que fait le doyen. Il y a une certaine initiation mais pas un écolage de fond. À la sortie de fonction, du jour au lendemain, clac, avec votre petite valise, vous rentrez dans le rang comme les autres. Et, dès lors, vous n'avez plus cette perception du fonctionnement et de la complexité du fonctionnement de la faculté. Pendant quatre ans, on est plongé dedans, dans toutes les instances, jusqu'au niveau le plus élevé qu'est le Conseil d' Administration, on voit de l'intérieur comment les choses fonctionnent, on découvre la complexité et la difficulté de tous les rouages (voir ce que je disais plus haut dans cette interview). Cela vous apprend vraiment énormément et le paradoxe est qu’au moment où l’on connaît tout à fond, l’institution vous dit « au revoir, merci beaucoup ». Il y a d'autres universités où le mandat de doyen est plus long (à Liège, ce l’était, il faudrait vérifier si c'est toujours le cas). Peut-être est-ce là qu'on peut commencer à mettre vraiment à profit tout ce qu'on a appris. En quatre ans, on a le temps de se former, d'entrer dans tous les mécanismes, d’examiner comment la maison fonctionne, de fréquenter d'autres facultés parce qu'on n’est plus enfermé dans sa tour d'ivoire, de fréquenter d'autres outillages mentaux, d'autres modes de raisonnement, d'autres façons de faire, et cela peut être très enrichissant aussi. Il y a de nombreux collègues universitaires qui ne sont pas juristes, qui ne raisonnent pas du tout comme les juristes, c'est très amusant de le vivre évidemment. Vous avez en face de vous un doyen en sciences exactes, qui croit, par exemple, que tout phénomène répond à des lois naturelles, comme en sciences exactes, à propos d'un dossier, et vous arrivez avec tout votre arsenal de juriste, avec des principes et des exceptions, des exceptions à l'exception,  etc. Voilà une hypothèse d’affrontement de deux logiques complètement différentes, et la discussion apporte beaucoup. Certes, la fonction « mange beaucoup », elle est chronophage. Je vivais des journées interminables, je rentrais à des heures pas possibles, fatiguée mais aussi très contente d'avoir géré quelque dossier. Et, de toute façon, avec le lien qui m'attachait à la faculté et à l'université, il n'y avait pas photo, je ne pouvais pas dire non. Je n'ai jamais rêvé d’être doyenne, mais quand certains m’ont invitée à poser ma candidature, pratiquement en me disant « voilà, c'est ton tour », je me voyais mal me dérober. Dans la logique du petit nombre de temps-plein, et de l'attachement que j'avais pour la maison, bien que, je le répète, ce n'était pas une logique d'ambition personnelle, j’ai accepté et je ne regrette absolument pas de l'avoir fait, d'ailleurs j'en suis vraiment heureuse. Surtout qu'avant moi il n’y avait eu qu’une seule femme doyen en Faculté de droit et il y a fort longtemps, et depuis, à part Paul-Alain Foriers, ce ne sont pratiquement plus que des femmes : Michèle Grégoire, Annemie Schauss, Andrée Puttemans. Quelle belle succession des femmes doyens ! »



L.N. : Existe-t-il une rivalité entre les professeurs de droit ? Et, si oui, est-ce dû au fait que certains sont adversaires dans leur vie professionnelle ?



H.J :« Non, à mon sentiment, il n'y a aucune rivalité. Chacun a plutôt tendance à regarder son petit territoire. Il est vrai qu'il y a parfois des zones de frictions parce qu'un collègue exprime le vœu d’obtenir des exercices pratiques, autant d'heures d'exercices pratiques, autant d'assistants, etc, et il n'y a peut-être pas toujours les moyens nécessaires pour satisfaire tout le monde. Cela peut apparaître, de l'extérieur, comme une forme de rivalité. Mais, moi personnellement, je n'ai jamais vu de réelles rivalités, pas même intellectuelles, entre des collègues, depuis que je suis là. Je suis une temps plein et je n'ai jamais été inscrite au barreau. Or, on parle régulièrement d'un antagonisme entre les temps pleins et les part-time qui viennent de l'extérieur. Ce n'est pas un antagonisme. Ce sont simplement deux conceptions de vie différentes. Le part-time, de facto, a moins de disponibilité pour l'institution, peut-être moins de disponibilité pour ses étudiants, d'abord et tout simplement parce qu'il ne dispose peut-être pas d’un bureau ici, dans la faculté, tandis que le temps-plein a son bureau et il a sans doute plus de disponibilités. Cette situation n’est pas un antagonisme. Au contraire, c'est un des fleurons de la faculté, un peu comme en médecine. Nous avons parmi nous des praticiens qui viennent partager tout ce qu'ils savent et donner un éclairage pratique aux étudiants. Il faut continuer à jouer cette complémentarité qui est très intéressante. Il ne faut pas imaginer une faculté composée uniquement de temps-plein ou de part-time. Évidemment, la conséquence est que, parfois, sur le plan de la répartition des tâches logistiques et administratives, les temps-plein ont l'impression que toutes les charges leur reviennent, et ce n'est pas évident à gérer au quotidien ».



L.N. : Pourquoi avoir accepté de donner cours dans d'autres facultés que la faculté de droit ?



H.J. : « Parce que j'aime l'enseignement et parce que j'aime le droit. Partant, j’ai été très heureuse de faire passer un message juridique que j'avais envie de communiquer à des étudiants. Je considérais que cela faisait partie de leur intérêt de le connaître, vu que je n'y enseigne pas des mécanismes extrêmement élaborés ou trop compliqués, mais que j'y enseigne des institutions que l'on risque de croiser, souvent ou régulièrement, durant sa vie. C'est intéressant que les étudiants, non futurs juristes, sachent comment réagir face à certaines situations juridiques. Ce type de cours me permettait d'ouvrir une fenêtre sur une discipline technique, non familière en des facultés de sciences humaines. De la même manière que je ne m'étais pas cantonnée au droit romain pur et dur et que j’abordais aussi le droit positif. L’enseignement à de futurs ingénieurs de gestion, économistes et politologues m’a attirée. »



L.N: Que vous a apporté votre carrière académique par rapport à une carrière de praticienne ?



H.J. : « Par rapport à la carrière de praticienne que je n'ai pas eue ? Je me dis parfois que, dans une autre vie, je ferais de la pratique aussi, parce que, peut-être, cette dimension m'a-t-elle privée de quelque chose. Mais je dis cela in abstracto en fin de compte. Ma carrière académique m'a apporté énormément évidemment. J’ai pu faire une carrière dont je ne rêvais pas au départ, mais qui s'est présentée à moi parce que, comme j'avais très bien étudié, des opportunités m'ont été proposées et cette carrière m'a comblée, notamment sur le plan de la relation enseignant-enseigné, et, pour moi, je l’ai dit plus haut, c'est une relation capitale. En réalité, je ne peux évaluer ce qu'une carrière de praticienne m'aurait apporté. Peut-être dans ces carrières-là, a-t-on l'impression de faire quelque chose de pointu, d'utile à quelqu'un ? Enseigner est utile, de manière générale, à la généralité des étudiants, en faisant passer un message qui, à tout le moins, dans la vie, va permettre de ne pas être complètement démuni, et d'être, au contraire, un peu aguerri aux réalités juridiques ». 



L.N. : Quel était votre sujet de thèse ?



H.J. : « Ah ! Les servitudes prédiales. Des difficultés en matière de servitudes prédiales, mais en droit romain pur».



L.N : Votre carrière a été ponctuée de rencontres diverses et variées, mais quelle est la plus belle rencontre que vous ayez eu l'occasion de faire ?



H.J : « Je ne peux pas dire qu'il y a une rencontre particulière. Il y en a eu un certain nombre, et ce n'est pas par prudence, pour ne pas blesser certains, mais il y a eu un nombre certain de rencontres que j'ai faites avec différentes personnes : des étudiants, des assistants, des professeurs, d'ici, de l'extérieur, qui ont été vraiment des rencontres extrêmement enrichissantes. Et j’insiste, aussi des rencontres avec des étudiants. Parfois, à l'issue d'un examen, nous discutions un peu, et cela s'est parfois concrétisé par des prolongements dans l'existence. Par exemple, j'ai eu un étudiant, si je me souviens bien lors de ma première année en sciences politiques, un excellent étudiant, qui revenait régulièrement, par la suite, à chaque session me dire bonjour et m'apporter un petit café qu'il avait été cherché à une machine à café de l'université. Et, chaque année, ponctuellement, il se souvenait de moi et passait, et je trouvais ce geste sympathique et magnifique qu'il prenne sur son temps personnel de faire le déplacement, d'aller chercher un petit café et de me l'apporter alors que j'étais en train d'interroger. Et, à cette occasion, il me racontait ce qu’il avait réalisé et était devenu. Voilà quelqu'un d'absolument inoubliable. Et il y a beaucoup d’autres rencontres de ce type, parfois lors de réunions scientifiques, des collègues que je trouvais absolument extraordinaires sur le plan des compétences et qui étaient d'une gentillesse et d'une modestie, en tous points admirables. Donc, toutes ces rencontres forment un bouquet de rencontres. »



L.N. : Qui sera votre successeur l'année prochaine pour le cours d’Introduction au droit civil ?



H.J. : «Je ne peux pas le dire. Il est conçu, né, vivant, viable. Mais je ne suis pas autorisée à aller au devant d'une mécanique qui est enclenchée et qui va faire en sorte que, pour Mons et pour Bruxelles, il y aura un titulaire, un très bon titulaire. »



L.N. : Avez-vous connu certains de nos professeurs actuels, alors qu'ils étaient encore sur les bancs des étudiants ?



H.J. : « Ah oui, et quand même plusieurs, vu mon âge avancé ! Depuis que je suis assistante, j'ai vu passer de nombreux collègues comme Michèle Grégoire, Daniel Garabedian, Marc Uyttendaele, Régine Beauthier, et bien d’autres. Enfin, ceci prouve vraiment que je suis un dinosaure (rires). »



L.N. : Quel est votre regard sur le baptême étudiant ?



H.J. : « Personnellement, je ne l'ai pas vécu, peut-être dans la logique de la très bonne étudiante, profilée pour étudier. Mais ce que j'en dis est que, vu de l'extérieur, je ne sais comment cela se passe actuellement, mais il y a eu des années où cela se passait de manière un peu excessive et où l'université a été amenée à réagir. Elle l'a fait dans les termes qu'il fallait et de manière adéquate, et je pense que maintenant cela se passe bien. Si l'ensemble du processus est un processus passé avec le consentement des intéressés et que, de surcroît, ce n'est pas un processus d'humiliation, pourquoi pas. Moi, ce qui m'avait amenée à réagir, c'était des situations auxquelles j’avais été confrontée, au passage, et que je trouvais absolument inacceptables sur le plan humain. Par exemple, dans l'ancien jardin de l'université, une table et des comitards assis derrière elle qui faisaient passer des étudiants devant eux, à genoux, et qui leur crachaient à la figure la bière qu'ils avaient bue. Même si l’on m’explique que l'étudiant qui se fait cracher au visage est consentent, je trouve que c'est inacceptable sur le plan humain. Donc, voilà des choses que l'on ne peut pas admettre, mais par ailleurs, avoir du bleu ou du vert dans les cheveux et répéter « je te vénère, ô toi grand ancien » (je ne sais pas exactement ce qu'il est imposé de répéter !), c’est ok, ça ne me gêne pas. J’ai toujours été très attachée au respect, celui que je témoigne aux étudiants et celui que les étudiants me témoignent, celui qu’ils doivent se témoigner entre eux, qu'il faut témoigner à tout le monde en fin de compte. L'être humain doit avoir d'une part de la dignité, mais aussi faire preuve de respect vis-à-vis des autres. Cette dimension-là doit exister et être intégrée en toute occasion. Maintenant, si vous me demandiez de passer mon baptême aujourd’hui, je ne pense pas que je le ferais... »



L.N. : Que vous manquera-t-il le plus à l' ULB ?



H.J : « Pour le moment rien, parce que je peux prolonger mon enseignement de Questions approfondies de droit romain. Donc, j'aurai encore des étudiants, j'aurais encore le plaisir d'en croiser. Tout va bien dans mon environnement proche, je garde la présidence du centre d’Histoire du Droit. Mais, dans cinq ans, ce qui me manquera évidemment ce sont mes « petits étudiants ». Ces regards, ces visages, ces physionomies, cette jeunesse, ce goût du savoir, cet esprit jeune, ce dynamisme, cet enthousiasme (spécialement au début de l'année), ces sourires, ces questions, c'est formidable, c'est irremplaçable ! Je crois que tant que l’on a ça, on ne vieillit pas. Après, pouf... »



L.N. : Quel professeur vous manquera plus que les autres ? Et pourquoi ?



H.J. :« J'ai beaucoup de très bonnes relations et avec beaucoup de collègues, mais, il est vrai, il y en a que je ne connais pas, parce qu'ils sont vraiment trop extérieurs ou très jeunes. Certains restent, avec qui j'ai des liens d'amitié qui durent depuis de longues années, ils sont devenus d’authentiques amis, depuis le moment où ils étaient étudiants et moi assistante ; il y en a d'autres, plus âgés, qui sont déjà partis et que je continue à voir régulièrement. Je n'aurai pas un déficit en camaraderie, en amitié, en relation, au delà du professionnel. Je ne parle pas d’amitiés purement professionnelles « à la romaine », mais d’amitiés affectives,  avec vraiment beaucoup de plaisir à se retrouver, à pouvoir discuter de sujets divers. Ceux qui sont encore en place et le seront encore pendant un bon bout de temps, je les verrai encore ; ceux qui sont déjà partis, je les verrai toujours. Donc, sur ce plan-là, je pense que la situation se prolongera. »



L.N : À qui décerneriez-vous la palme du meilleur assistant de droit romain ? Pour quelles qualités ?



H.J : « Je vais de nouveau répondre comme une byzantine. J'aurais plusieurs personnes, pour ne parler que des plus anciens, parce que j'ai des jeunes qui sont vraiment super, je ne leur vois aucun défaut, vraiment ils font le travail avec passion, ils connaissent très bien la matière, ils répondent à chaque appel, et c'est magnifique. Mais, parmi les plus anciens, le cœur de l'équipe, il y en a qui ont commencé à mes côtés dès le premier jour comme élève-assistant, donc non rémunéré. De cette équipe-là, le cœur du cœur de l’équipe, il en reste un Vincent De Wolf, car Patrick Vassart, il y a quelques années, a quitté, à mon invitation, le service parce qu'il allait enseigner le droit romain à Mons. Mais il y en a beaucoup d'autres anciens, Jérôme Sohier, Éric Riquier, et, parmi les honoraires, Nathalie Massager, Erik Van den Haute. J'ai eu et j'ai encore une équipe en or. Ils ont posé leur candidature, parce qu'ils avaient vraiment envie de faire de la pédagogie. Je n'ai jamais eu, pratiquement, d'assistants de type « carte de visite ». Mes assistants viennent parce qu'ils ont véritablement envie d'enseigner. Donc, c’est plus une palme collective qu’il convient de décerner. On pourra penser que c’est une réponse très prudente de ma part, qui ne veut blesser personne, mais, je le pense, c'est une palme collective que je décernerais à mon équipe, aux anciens et aux plus jeunes, parce que certains sont là depuis très peu de temps mais eux aussi sont déjà totalement investis. J’ai vraiment une « chouette » équipe, très soudée, et les plus jeunes ont souvent été les étudiants des plus anciens. Je me rappelle une réunion récente où un des plus anciens s’exprimait et une très jeune assistante lui a dit « Mais, tu sais, je n'étais même pas née quand toi, tu travaillais déjà en droit romain », et nous avons subitement pris conscience que, dans la même équipe, un décalage de temps considérable séparait les jeunes des plus anciens, qui pourraient pratiquement être les parents des plus jeunes. C'est drôle ! On oublie évidemment que la roue du temps tourne. »



L.N. : Quelle a été la réponse la plus drôle que vous ayez eu à lire en corrigeant un examen ?



H.J. : « Il y en a beaucoup. Je fais un petit florilège personnel depuis deux, trois ans. Certaines sont drôles sans que l'étudiant ne s'en rende compte, parce qu’il s’agit d’une construction juridique qui est drôle. Mais d’autres sont drôles, pour la drôlerie même, du style « Ouh, la, la ! Ça, ça va être compliqué... », un étudiant qui sans doute ne voyait pas la réponse à la question. Il y a, en fin de compte, assez bien de réponses qui sont drôles, involontairement ou volontairement, et, chaque année, par session, je fais un florilège entre 20 et 50 réponses, que je trouve amusantes et que je communique, sans révéler le nom de leurs auteurs, à mes assistants. Des réponses qui, au minimum, font sourire et, parfois, font pouffer de rire. Nous ne rions pas de l'étudiant bien entendu, mais de la réponse qu’il a faite. Je me souviens d’avoir lu une fois un « Ah, ça, c'est bien de l'humour à la Jones. » »



L.N. : Quel a été l'incident le plus burlesque que vous ayez vécu lors d'un de vos cours ?



H.J. : « J'ai eu droit à deux passages de cyclistes, qui sont entrés, pendant que je faisais cours, par les portes battantes de l’auditoire Janson, et à des années de distance. L’un des deux m'a salué, au passage, très gentiment. Au total, j’ai trouvé que c’était plutôt surprenant et rigolo. Et il y a un événement, qui n'est pas burlesque celui-là, mais que j'ai trouvé très mignon. Je peux le dire maintenant que je suis en fin de carrière, car il ne risque plus de se reproduire.. C'était un étudiant qui voulait offrir à sa petite copine un bouquet de fleurs à l’occasion de son anniversaire.  Le fleuriste est arrivé dans le Janson, avec le bouquet de fleurs en mains. Je me suis interrompue et lui ai dit « De quoi s'agit-il ? », « C'est un bouquet que je dois remettre à Mademoiselle X ». L’étudiante était assise dans l’auditoire, elle est devenue cramoisie, et je me souviens lui avoir dit « Voilà un souvenir que vous garderez précieusement pour toute votre existence ». Incident touchant, seulement j'ai demandé aux étudiants de ne pas le reproduire pour éviter qu’à chaque cours il n’y ait des allées et venues de fleuristes, vu le nombre élevé d’étudiantes inscrites en première année ! ».



L.N. : Est-il vrai que les professeurs font un classement des professeurs qui mettent le plus leurs étudiants en échec ?



H.J. : « Non, ça c'est complètement insensé. Je vous garantis que cela n'existe pas. Il n'y a pas de classement des professeurs qui mettent en échec, comme il n'y a pas de quotas, ce sont des rumeurs d'étudiants : les quotas d'étudiants qu'il faut recaler ou laisser passer font partie de la mythologie terrorisante qui circule parmi les étudiants. C'est une rumeur complètement fausse. Maintenant, au sein d’un jury d'année, il peut se faire que des professeurs notent plus sèchement que d'autres, mais, curieusement, ces professeurs sont souvent très bienveillants en délibération, parce qu'ils sont conscients de la sévérité de leur notation. Et d'autres professeurs notent parfois de manière très généreuse, mais se montrent eux relativement plus inflexibles en délibération, parce qu'ils considèrent qu'ils ont déjà noté généreusement les étudiants. Il faut tout examiner, en réalité. De manière générale, je trouve  que les délibérations fonctionnent très bien dans cette faculté, ce sont de véritables délibérations. Il existe d'autres facultés, où seuls les chiffres parlent. Il convient de tordre le cou à cette mythologie des étudiants. C'est un peu comme les enfants qui aiment avoir peur, qui aiment les histoires avec des ogres, des ogresses et des monstres. J'ai un jour été appelée chez le vice-recteur à la politique étudiante qui avait mis en tableaux les résultats d'une session de première en droit en couleurs : les notes inférieures à 8 en rouge, les notes de 8 à 10 en orange, et à partir de 10 en vert. Il n'y avait pas de colonnes verticales rouges, le rouge apparaissait un petit peu partout, et, en général, pour le même étudiant, le rouge apparaissait dans plusieurs colonnes. Donc, rien ne permettait de démontrer qu’un, deux ou trois professeurs étaient plus « buseurs » que les autres. La dispersion des couleurs était, si j’ose dire, assez harmonieuse. Ceci dit, incontestablement, il y a des professeurs qui notent plus sèchement que d'autres. À mon sentiment, il y a bien d’autres questions qui mériteraient une réflexion facultaire, maintenant que le programme est fait. Par exemple, sur le type de pédagogie que l'on cherche à réaliser : est-ce une pédagogie encyclopédique ou bien une pédagogie de structure ? Il serait ainsi utile d’enclencher une réflexion sur le support de cours, l'ampleur qu'il doit présenter. J'avais ce type de réflexions à mon agenda décanal, simplement Bologne est arrivé par le côté, par tribord, et j'ai été contrainte de donner la priorité à Bologne sur les réflexions internes. Mais vous êtes là aussi pour lancer des réflexions sur de pareils thèmes ! Je ne suis pas en train de vous dire « Etudiants de tous les pays, sortez de l'ombre, unissez-vous et faites la révolte! ». Mais il me semble que certaines thématiques pourraient utilement être examinées à l’occasion. Faut-il déterminer l’ampleur du support écrit par rapport à un volume horaire ? Et, si oui, qu'est-ce qui serait de l'ordre du raisonnable ? Quel est l'objectif poursuivi par les exercices pratiques, de manière générale, et, plus particulièrement, par rapport au cours ex cathedra auquel ils sont attachés ? Est-ce vraiment pratique ce que l'on y fait ? Faut-il initier l’étudiant à la rédaction d’un bon travail ou/et lui apprendre à réaliser un bon exposé ? Il existe nombre de sujets qui mériteraient que l’on s’y attache. »

Photo Prom Night Droit 2012
Par Yasmina Sharane

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