Interview : Huguette Jones
2012 fut une année pour le moins atypique ! En effet ce fut l’année
des erreurs administratives (Gehol, inscriptions), l’année de réformes
(Bacheliers et Masters), l’année de la session de la mort qui tue pour
certains, mais cette année, est arrivée un évènement dont personne ne croyait
qu’il allait arriver un jour : le départ de Madame Jones. Titulaire du
cours de droit romain et d’Introduction au droit civil en BA1, ancienne doyenne, présidente du Centre
d’Histoire du Droit, Mme Jones a eu l’occasion, plus que quiconque de faire le
tour de ce qui a de bon et de mauvais au sein de notre Alma Mater. L’occasion
pour nous de lui demander une ultime interview sur ces « quelques »
années passées entre les murs de notre faculté. Si elle se qualifie elle-même
de « dinosaure », nous préfèrerons utiliser le terme de monstre
sacré, car en effet Madame Jones est, et restera (nous le présumons iuris et de
jure) encore pour de nombreuses années, LA professeur la plus emblématique de
la faculté de Droit au même titre de Marcq, Vander Eycken, et les autre Jean
Van Rijn. AVE madame Jones.
L.N. : Lorsque vous étiez étudiante, aviez-vous déjà à l'esprit de
devenir professeur ?
H.J. : « Non, pas du tout.
Je souhaitais travailler comme juge au tribunal de la jeunesse, et c'est pour
ce motif précis que j'ai entrepris des études de droit. Et, aujourd’hui, je
m'occupe de la jeunesse, mais pas la même... »
L.N : Quel genre d'étudiante étiez-vous ?
H.J. : « Profilée pour
étudier. Lycée Jacqmain, humanités gréco-latines, très beaux résultats, donc
vraiment beaucoup travaillé, beaucoup étudié. Très sage, peut-être même un peu
trop sage avec le recul. Mais, je le reconnais, cela m'a bien réussi, et j'ai
fait de très beaux grades. Je veux dire que la priorité des priorités était les
études. »
L.N. : Comment s'est passé la toute première fois que vous vous êtes
retrouvée face à des étudiants ?
H.J. :« Il y a deux
premières fois. Il y a la première fois comme assistante et la première fois
comme prof. Et donc, comme il y a eu une première fois comme assistante, cela a
fort facilité les choses pour la première fois comme prof. En d’autres termes,
je ne me suis pas trouvée d'emblée devant un auditoire de 500, 600, 700
étudiants, je me suis d'abord retrouvée devant un petit auditoire composé de 25
étudiants, et j'avoue qu’au départ, j'avais le « trac ». J'avais
vraiment le « trac », parce que je pensais « Comment cela
va-t-il se passer ? Vais-je être à même de leur apporter quelque
chose ? Vais-je être pédagogique ? », et j'étais assez stressée.
Et puis, après quelques minutes à peine, je me suis rendu compte que j'avais
oublié mon stress... »
L.N. : Vous étiez comme un poisson dans l'eau alors ?
H.J. :« Très vite, oui.
Peut-être cela tient-il aussi un peu à mon type de personnalité, je ne mets pas
les barrières, je suis naturelle et espère que les étudiants m'acceptent telle
quelle. Je n'ai jamais joué le rôle de l'assistante et je n'ai jamais joué le
rôle du prof. Plus tard, quand je me suis trouvée devant un grand nombre
d'étudiants, la première fois que je suis entrée dans un grand auditoire, c'est
vrai que j'étais également stressée, je le reconnais volontiers. Mais moins
stressée que si j'avais dû commencer immédiatement comme professeur. »
L.N. : Comment se sent-on lors de la dernière année où l'on
enseigne ?
H.J. : « Oh, pas bien.
Parce que c'est très triste, et en même temps, cela devrait être un moment
heureux. C’est le moment de se retourner, de juger ce que l’on est parvenu à
faire, et peut-être de se dire « j'ai quand même fait cela pas trop
mal ». Mais c'est un moment très triste parce que cette fonction est une
très très grande partie de ma vie. Quand j'ai entendu l'autre jour à la radio
qu'il était question de permettre dans l’avenir aux personnes de prolonger leur
vie professionnelle, j'ai eu une petite pensée fugace, et me suis dit «flûte!
je pars juste un an trop tôt ». Si j'avais eu le choix de continuer
quelques années supplémentaires, je crois vraiment que j'aurais continué. Les
étudiants paraissent toujours satisfaits des cours que je leur fais et moi,
j'aime toujours enseigner ! »
L.N. : Durant votre carrière de professeur, qu’est-ce qui vous a le
plus enchantée ? Et le plus désenchantée ?
H.J. : « Ce qui m'a le plus
enchantée comme professeur, je peux le dire, sans aucune hésitation, c'est la
qualité de la relation que j'ai eue et que j'ai d’ailleurs encore avec les
étudiants. Parce que cette relation est de très belle qualité et, finalement il
y a une espèce de, complicité est peut-être un grand mot, mais d’entente,
d’intelligence entre les étudiants et moi. Pas avec tous les étudiants bien
sûr, mais avec ceux qui acceptent de communiquer avec moi. Par contre, ce qui
m'a désolée et qui me désolera toujours, c'est qu'une partie importante des
étudiants de première année ne s'investissent pas à fond. On a envie de leur
expliquer, de leur montrer tout le positif qu'ils pourraient retirer des études
qu'ils font, que ce soit celles-ci ou d'autres études d’ailleurs. Mais j'ai un
peu l'impression que certains ne jouent pas le jeu, ceux que l’on désigne
parfois par l'expression d’ « étudiants touristes », ces
étudiants qui s’inscrivent et, en fin de compte, ne s'investissent pas en tant
qu'étudiants et jamais on ne parvient à les accrocher. Malgré tout ce que l'on
fait : guidance, test à blanc, examen à blanc, etc. Et ça, c'est vraiment
désolant. Peut-être est-ce plus spécifique à des facultés comme les nôtres, qui
ne demandent pas au départ un pré requis particulier. Par exemple, si vous êtes
fort en sciences exactes et que vous vous inscrivez en géographie ou en
géologie, peut-être avez-vous plus clairement en tête la représentation de ce
qui vous attend et donc, êtes-vous plus investi. En droit, il n'y a pas de
véritable prérequis, on part de zéro. On demande simplement la connaissance de
la langue de l'enseignement et on construit le savoir de l'étudiant, on
construit ses connaissances. Peut-être est-ce cela qui fait que l'image de ce
que l'on croit trouver en droit ne correspond pas à la réalité et qui explique
un pareil décrochage. Je trouve qu’à l'échelle humaine, c’est une immense gabegie.
Parce que, si les étudiants qui ne s'investissent pas, avaient trouvé un autre
projet de vie, là, on pourrait encore se réjouir en se disant « ils ne
s'investissent pas en droit, mais ils vont s'investir dans autre chose »,
mais on n’a même pas cette certitude. Peut-être vont-ils sortir de l’université
aigris, en se disant « J'en ai rien appris, on ne m'a rien appris, je n'ai
rien à retirer de ce passage à l’université » et cela, c'est vraiment
désolant. C'est peut-être inévitable dans un système où l'enseignement
universitaire est ouvert au plus grand nombre et que j'approuve pleinement, que
je considère comme indispensable, parce qu'il faut que le plus grand nombre
puisse accéder à l'université. Mais c'est vraiment très triste de voir qu'on ne
parvient même pas à intéresser une partie substantielle d'étudiants. Tant mieux
s’ils sont (peut-être) en train de bloquer chez eux, trouvant plus expédient de
travailler chez eux. Mais, quand je fais, par exemple, des séances d'examens à
blanc, je considère que c’est tout de même quelque chose d'utile. Et cela
m'inquiète de voir que trop peu d’étudiants y assistent. Mais je suis une
femme. Nous n’avons pas la même sensibilité que les hommes... (rires) »
L.N. : Que pensez-vous de l'administration de l’ULB en général ?
H.J. : « Je pense qu'on y
fait de bonnes choses, mais je pense qu'elle pourrait essayer de faire mieux.
C'est bien sûr très général ce que je dis. Les difficultés résultent peut-être
de la complexité des rouages. Nous sommes dans une université avec nombre
d'échelons, nombre de structures, et ce fait complique sans doute les choses.
Je persiste néanmoins à penser qu'il y aurait moyen de faire mieux. Chacun
essaie de le faire, individuellement, à son niveau indiscutablement, mais l’ULB
pourrait certainement faire encore mieux. Pas forcément dans tous les coins,
mais dans certains coins. Pour que l'étudiant soit mieux accueilli, que son
dossier soit plus vite traité, qu'il obtienne plus vite les bonnes réponses.
Ceci dit, je n'ai jamais travaillé ailleurs qu’à l’université, donc j’ignore ce
que cela donnerait dans une autre structure ; peut-être n’est-ce pas
mieux. Je conclus seulement, parce que je crois qu'il faut être animé du sens
de l'autocritique : peut mieux faire ».
L.N : Quel est votre point de vue sur la réforme des
bacheliers ?
H.J. : «Alors là, les points de
vue diffèrent ! À la revue, les étudiants l’ont représentée comme l'œuvre
de professeurs complètement éméchés (rires). Évidemment, ce n'est pas ma
réforme. Quand j'étais doyenne, j'ai négocié une autre réforme, mise en
application année par année, et qui n'a pas vécu très longtemps, en tout cas
pas suffisamment longtemps pour que l'on puisse émettre un jugement de valeur
sur sa qualité. Et, aussitôt, on est passé à cette nouvelle réforme, qui répond
à d'autres logiques. Il faudrait peut-être voir dans quelques années. Les
étudiants ont participé, chaque membre de la commission a pu donner son avis,
et la faculté a énormément travaillé. Personnellement, j'ai l'impression que la
deuxième année va être très très difficile. Il faut, par exemple, que les
professeurs de deuxième année vous traitent comme des étudiants de deuxième
année. Je n'ai pas dit qu'ils ne vont pas le faire. Un certain nombre de cours
exigeants de troisième sont descendus en deuxième, et, en soi, ce n'est
évidemment pas irréalisable, mais je pense que cet aménagement ne va pas dans
le sens de la facilitation du cursus. Peut-être que ce créneau très dur de la
deuxième année va amener à des années supérieures beaucoup plus souples et plus
fluides. C'est une réforme intéressante, il y en avait d'autres qu'on aurait pu
réaliser, mais il faut voir sur la longueur. Ce qui serait souhaitable, sauf
catastrophe qui normalement ne doit pas se produire, c’est de disposer d’un
certain nombre d'années pour apprécier la qualité de la nouvelle réforme, et de
ne pas devoir remodifier une nouvelle fois, de manière trop rapprochée, sans
quoi cela deviendra perturbant pour les étudiants ».
L.N. : Vous avez été doyenne de la faculté de droit 2000 à 2004. Que
vous a apporté cette expérience ? Regrettez-vous de l'avoir fait ?
H.J : « Elle m'a apporté
énormément. Découvrir des structures et des mécanismes que l'on connaît
relativement mal, parce que vous entrez dans la fonction sans disposer d’aucune
préparation spécifique : il n'’existe pas de réel écolage en la matière.
D’accord, on est d’abord vice-doyen, mais le vice-doyen ne fait pas ce que fait
le doyen. Il y a une certaine initiation mais pas un écolage de fond. À la
sortie de fonction, du jour au lendemain, clac, avec votre petite valise, vous
rentrez dans le rang comme les autres. Et, dès lors, vous n'avez plus cette
perception du fonctionnement et de la complexité du fonctionnement de la
faculté. Pendant quatre ans, on est plongé dedans, dans toutes les instances,
jusqu'au niveau le plus élevé qu'est le Conseil d' Administration, on voit de
l'intérieur comment les choses fonctionnent, on découvre la complexité et la
difficulté de tous les rouages (voir ce que je disais plus haut dans cette
interview). Cela vous apprend vraiment énormément et le paradoxe est qu’au
moment où l’on connaît tout à fond, l’institution vous dit « au revoir,
merci beaucoup ». Il y a d'autres universités où le mandat de doyen est
plus long (à Liège, ce l’était, il faudrait vérifier si c'est toujours le cas).
Peut-être est-ce là qu'on peut commencer à mettre vraiment à profit tout ce
qu'on a appris. En quatre ans, on a le temps de se former, d'entrer dans tous
les mécanismes, d’examiner comment la maison fonctionne, de fréquenter d'autres
facultés parce qu'on n’est plus enfermé dans sa tour d'ivoire, de fréquenter
d'autres outillages mentaux, d'autres modes de raisonnement, d'autres façons de
faire, et cela peut être très enrichissant aussi. Il y a de nombreux collègues
universitaires qui ne sont pas juristes, qui ne raisonnent pas du tout comme
les juristes, c'est très amusant de le vivre évidemment. Vous avez en face de
vous un doyen en sciences exactes, qui croit, par exemple, que tout phénomène
répond à des lois naturelles, comme en sciences exactes, à propos d'un dossier,
et vous arrivez avec tout votre arsenal de juriste, avec des principes et des
exceptions, des exceptions à l'exception,
etc. Voilà une hypothèse d’affrontement de deux logiques complètement différentes,
et la discussion apporte beaucoup. Certes, la fonction « mange
beaucoup », elle est chronophage. Je vivais des journées interminables, je
rentrais à des heures pas possibles, fatiguée mais aussi très contente d'avoir
géré quelque dossier. Et, de toute façon, avec le lien qui m'attachait à la
faculté et à l'université, il n'y avait pas photo, je ne pouvais pas dire non.
Je n'ai jamais rêvé d’être doyenne, mais quand certains m’ont invitée à poser
ma candidature, pratiquement en me disant « voilà, c'est ton tour »,
je me voyais mal me dérober. Dans la logique du petit nombre de temps-plein, et
de l'attachement que j'avais pour la maison, bien que, je le répète, ce n'était
pas une logique d'ambition personnelle, j’ai accepté et je ne regrette absolument
pas de l'avoir fait, d'ailleurs j'en suis vraiment heureuse. Surtout qu'avant
moi il n’y avait eu qu’une seule femme doyen en Faculté de droit et il y a fort
longtemps, et depuis, à part Paul-Alain Foriers, ce ne sont pratiquement plus
que des femmes : Michèle Grégoire, Annemie Schauss, Andrée Puttemans.
Quelle belle succession des femmes doyens ! »
L.N. : Existe-t-il une rivalité entre les professeurs de
droit ? Et, si oui, est-ce dû au fait que certains sont adversaires dans
leur vie professionnelle ?
H.J :« Non, à mon
sentiment, il n'y a aucune rivalité. Chacun a plutôt tendance à regarder son
petit territoire. Il est vrai qu'il y a parfois des zones de frictions parce
qu'un collègue exprime le vœu d’obtenir des exercices pratiques, autant
d'heures d'exercices pratiques, autant d'assistants, etc, et il n'y a peut-être
pas toujours les moyens nécessaires pour satisfaire tout le monde. Cela peut
apparaître, de l'extérieur, comme une forme de rivalité. Mais, moi
personnellement, je n'ai jamais vu de réelles rivalités, pas même
intellectuelles, entre des collègues, depuis que je suis là. Je suis une temps
plein et je n'ai jamais été inscrite au barreau. Or, on parle régulièrement
d'un antagonisme entre les temps pleins et les part-time qui viennent de l'extérieur.
Ce n'est pas un antagonisme. Ce sont simplement deux conceptions de vie
différentes. Le part-time, de facto,
a moins de disponibilité pour l'institution, peut-être moins de disponibilité
pour ses étudiants, d'abord et tout simplement parce qu'il ne dispose peut-être
pas d’un bureau ici, dans la faculté, tandis que le temps-plein a son bureau et
il a sans doute plus de disponibilités. Cette situation n’est pas un
antagonisme. Au contraire, c'est un des fleurons de la faculté, un peu comme en
médecine. Nous avons parmi nous des praticiens qui viennent partager tout ce
qu'ils savent et donner un éclairage pratique aux étudiants. Il faut continuer
à jouer cette complémentarité qui est très intéressante. Il ne faut pas
imaginer une faculté composée uniquement de temps-plein ou de part-time.
Évidemment, la conséquence est que, parfois, sur le plan de la répartition des
tâches logistiques et administratives, les temps-plein ont l'impression que
toutes les charges leur reviennent, et ce n'est pas évident à gérer au
quotidien ».
L.N. : Pourquoi avoir accepté de donner cours dans d'autres facultés
que la faculté de droit ?
H.J. : « Parce que j'aime
l'enseignement et parce que j'aime le droit. Partant, j’ai été très heureuse de
faire passer un message juridique que j'avais envie de communiquer à des
étudiants. Je considérais que cela faisait partie de leur intérêt de le
connaître, vu que je n'y enseigne pas des mécanismes extrêmement élaborés ou
trop compliqués, mais que j'y enseigne des institutions que l'on risque de
croiser, souvent ou régulièrement, durant sa vie. C'est intéressant que les
étudiants, non futurs juristes, sachent comment réagir face à certaines
situations juridiques. Ce type de cours me permettait d'ouvrir une fenêtre sur
une discipline technique, non familière en des facultés de sciences humaines.
De la même manière que je ne m'étais pas cantonnée au droit romain pur et dur
et que j’abordais aussi le droit positif. L’enseignement à de futurs ingénieurs
de gestion, économistes et politologues m’a attirée. »
L.N: Que vous a apporté votre carrière académique par rapport à une
carrière de praticienne ?
H.J. : « Par rapport à la
carrière de praticienne que je n'ai pas eue ? Je me dis parfois que, dans
une autre vie, je ferais de la pratique aussi, parce que, peut-être, cette
dimension m'a-t-elle privée de quelque chose. Mais je dis cela in abstracto en fin de compte. Ma
carrière académique m'a apporté énormément évidemment. J’ai pu faire une
carrière dont je ne rêvais pas au départ, mais qui s'est présentée à moi parce
que, comme j'avais très bien étudié, des opportunités m'ont été proposées et
cette carrière m'a comblée, notamment sur le plan de la relation
enseignant-enseigné, et, pour moi, je l’ai dit plus haut, c'est une relation
capitale. En réalité, je ne peux évaluer ce qu'une carrière de praticienne
m'aurait apporté. Peut-être dans ces carrières-là, a-t-on l'impression de faire
quelque chose de pointu, d'utile à quelqu'un ? Enseigner est utile, de
manière générale, à la généralité des étudiants, en faisant passer un message
qui, à tout le moins, dans la vie, va permettre de ne pas être complètement
démuni, et d'être, au contraire, un peu aguerri aux réalités
juridiques ».
L.N. : Quel était votre sujet de thèse ?
H.J. : « Ah ! Les servitudes
prédiales. Des difficultés en matière de servitudes prédiales, mais en droit
romain pur».
L.N : Votre carrière a été ponctuée de rencontres diverses et
variées, mais quelle est la plus belle rencontre que vous ayez eu l'occasion de
faire ?
H.J : « Je ne peux pas dire
qu'il y a une rencontre particulière. Il y en a eu un certain nombre, et ce
n'est pas par prudence, pour ne pas blesser certains, mais il y a eu un nombre
certain de rencontres que j'ai faites avec différentes personnes : des
étudiants, des assistants, des professeurs, d'ici, de l'extérieur, qui ont été
vraiment des rencontres extrêmement enrichissantes. Et j’insiste, aussi des
rencontres avec des étudiants. Parfois, à l'issue d'un examen, nous discutions
un peu, et cela s'est parfois concrétisé par des prolongements dans
l'existence. Par exemple, j'ai eu un étudiant, si je me souviens bien lors de
ma première année en sciences politiques, un excellent étudiant, qui revenait
régulièrement, par la suite, à chaque session me dire bonjour et m'apporter un
petit café qu'il avait été cherché à une machine à café de l'université. Et,
chaque année, ponctuellement, il se souvenait de moi et passait, et je trouvais
ce geste sympathique et magnifique qu'il prenne sur son temps personnel de faire
le déplacement, d'aller chercher un petit café et de me l'apporter alors que
j'étais en train d'interroger. Et, à cette occasion, il me racontait ce qu’il
avait réalisé et était devenu. Voilà quelqu'un d'absolument inoubliable. Et il
y a beaucoup d’autres rencontres de ce type, parfois lors de réunions
scientifiques, des collègues que je trouvais absolument extraordinaires sur le
plan des compétences et qui étaient d'une gentillesse et d'une modestie, en
tous points admirables. Donc, toutes ces rencontres forment un bouquet de
rencontres. »
L.N. : Qui sera votre successeur l'année prochaine pour le cours
d’Introduction au droit civil ?
H.J. : «Je ne peux pas le dire.
Il est conçu, né, vivant, viable. Mais je ne suis pas autorisée à aller au
devant d'une mécanique qui est enclenchée et qui va faire en sorte que, pour
Mons et pour Bruxelles, il y aura un titulaire, un très bon titulaire. »
L.N. : Avez-vous connu certains de nos professeurs actuels, alors
qu'ils étaient encore sur les bancs des étudiants ?
H.J. : « Ah oui, et quand
même plusieurs, vu mon âge avancé ! Depuis que je suis assistante, j'ai vu
passer de nombreux collègues comme Michèle Grégoire, Daniel Garabedian, Marc
Uyttendaele, Régine Beauthier, et bien d’autres. Enfin, ceci prouve vraiment
que je suis un dinosaure (rires). »
L.N. : Quel est votre regard sur le baptême étudiant ?
H.J. : « Personnellement,
je ne l'ai pas vécu, peut-être dans la logique de la très bonne étudiante,
profilée pour étudier. Mais ce que j'en dis est que, vu de l'extérieur, je ne
sais comment cela se passe actuellement, mais il y a eu des années où cela se
passait de manière un peu excessive et où l'université a été amenée à réagir.
Elle l'a fait dans les termes qu'il fallait et de manière adéquate, et je pense
que maintenant cela se passe bien. Si l'ensemble du processus est un processus
passé avec le consentement des intéressés et que, de surcroît, ce n'est pas un
processus d'humiliation, pourquoi pas. Moi, ce qui m'avait amenée à réagir,
c'était des situations auxquelles j’avais été confrontée, au passage, et que je
trouvais absolument inacceptables sur le plan humain. Par exemple, dans
l'ancien jardin de l'université, une table et des comitards assis derrière elle
qui faisaient passer des étudiants devant eux, à genoux, et qui leur crachaient
à la figure la bière qu'ils avaient bue. Même si l’on m’explique que l'étudiant
qui se fait cracher au visage est consentent, je trouve que c'est inacceptable
sur le plan humain. Donc, voilà des choses que l'on ne peut pas admettre, mais
par ailleurs, avoir du bleu ou du vert dans les cheveux et répéter « je te
vénère, ô toi grand ancien » (je ne sais pas exactement ce qu'il est
imposé de répéter !), c’est ok, ça ne me gêne pas. J’ai toujours été très
attachée au respect, celui que je témoigne aux étudiants et celui que les
étudiants me témoignent, celui qu’ils doivent se témoigner entre eux, qu'il
faut témoigner à tout le monde en fin de compte. L'être humain doit avoir d'une
part de la dignité, mais aussi faire preuve de respect vis-à-vis des autres.
Cette dimension-là doit exister et être intégrée en toute occasion. Maintenant,
si vous me demandiez de passer mon baptême aujourd’hui, je ne pense pas que je
le ferais... »
L.N. : Que vous manquera-t-il le plus à l' ULB ?
H.J : « Pour le moment
rien, parce que je peux prolonger mon enseignement de Questions approfondies de
droit romain. Donc, j'aurai encore des étudiants, j'aurais encore le plaisir
d'en croiser. Tout va bien dans mon environnement proche, je garde la présidence
du centre d’Histoire du Droit. Mais, dans cinq ans, ce qui me manquera
évidemment ce sont mes « petits étudiants ». Ces regards, ces
visages, ces physionomies, cette jeunesse, ce goût du savoir, cet esprit jeune,
ce dynamisme, cet enthousiasme (spécialement au début de l'année), ces
sourires, ces questions, c'est formidable, c'est irremplaçable ! Je crois
que tant que l’on a ça, on ne vieillit pas. Après, pouf... »
L.N. : Quel professeur vous manquera plus que les autres ? Et
pourquoi ?
H.J. :« J'ai beaucoup de
très bonnes relations et avec beaucoup de collègues, mais, il est vrai, il y en
a que je ne connais pas, parce qu'ils sont vraiment trop extérieurs ou très
jeunes. Certains restent, avec qui j'ai des liens d'amitié qui durent depuis de
longues années, ils sont devenus d’authentiques amis, depuis le moment où ils
étaient étudiants et moi assistante ; il y en a d'autres, plus âgés, qui
sont déjà partis et que je continue à voir régulièrement. Je n'aurai pas un
déficit en camaraderie, en amitié, en relation, au delà du professionnel. Je ne
parle pas d’amitiés purement professionnelles « à la romaine », mais
d’amitiés affectives, avec vraiment
beaucoup de plaisir à se retrouver, à pouvoir discuter de sujets divers. Ceux
qui sont encore en place et le seront encore pendant un bon bout de temps, je
les verrai encore ; ceux qui sont déjà partis, je les verrai toujours.
Donc, sur ce plan-là, je pense que la situation se prolongera. »
L.N : À qui décerneriez-vous la palme du meilleur assistant de droit
romain ? Pour quelles qualités ?
H.J : « Je vais de nouveau
répondre comme une byzantine. J'aurais plusieurs personnes, pour ne parler que
des plus anciens, parce que j'ai des jeunes qui sont vraiment super, je ne leur
vois aucun défaut, vraiment ils font le travail avec passion, ils connaissent
très bien la matière, ils répondent à chaque appel, et c'est magnifique. Mais,
parmi les plus anciens, le cœur de l'équipe, il y en a qui ont commencé à mes
côtés dès le premier jour comme élève-assistant, donc non rémunéré. De cette
équipe-là, le cœur du cœur de l’équipe, il en reste un Vincent De Wolf, car
Patrick Vassart, il y a quelques années, a quitté, à mon invitation, le service
parce qu'il allait enseigner le droit romain à Mons. Mais il y en a beaucoup d'autres
anciens, Jérôme Sohier, Éric Riquier, et, parmi les honoraires, Nathalie
Massager, Erik Van den Haute. J'ai eu et j'ai encore une équipe en or. Ils ont
posé leur candidature, parce qu'ils avaient vraiment envie de faire de la
pédagogie. Je n'ai jamais eu, pratiquement, d'assistants de type « carte
de visite ». Mes assistants viennent parce qu'ils ont véritablement envie
d'enseigner. Donc, c’est plus une palme collective qu’il convient de décerner.
On pourra penser que c’est une réponse très prudente de ma part, qui ne veut
blesser personne, mais, je le pense, c'est une palme collective que je
décernerais à mon équipe, aux anciens et aux plus jeunes, parce que certains
sont là depuis très peu de temps mais eux aussi sont déjà totalement investis.
J’ai vraiment une « chouette » équipe, très soudée, et les plus
jeunes ont souvent été les étudiants des plus anciens. Je me rappelle une
réunion récente où un des plus anciens s’exprimait et une très jeune assistante
lui a dit « Mais, tu sais, je n'étais même pas née quand toi, tu
travaillais déjà en droit romain », et nous avons subitement pris
conscience que, dans la même équipe, un décalage de temps considérable séparait
les jeunes des plus anciens, qui pourraient pratiquement être les parents
des plus jeunes. C'est drôle ! On oublie évidemment que la roue du temps
tourne. »
L.N. : Quelle a été la réponse la plus drôle que vous ayez eu à lire
en corrigeant un examen ?
H.J. : « Il y en a
beaucoup. Je fais un petit florilège personnel depuis deux, trois ans.
Certaines sont drôles sans que l'étudiant ne s'en rende compte, parce qu’il
s’agit d’une construction juridique qui est drôle. Mais d’autres sont drôles,
pour la drôlerie même, du style « Ouh, la, la ! Ça, ça va être
compliqué... », un étudiant qui sans doute ne voyait pas la réponse à la
question. Il y a, en fin de compte, assez bien de réponses qui sont drôles,
involontairement ou volontairement, et, chaque année, par session, je fais un
florilège entre 20 et 50 réponses, que je trouve amusantes et que je
communique, sans révéler le nom de leurs auteurs, à mes assistants. Des
réponses qui, au minimum, font sourire et, parfois, font pouffer de rire. Nous
ne rions pas de l'étudiant bien entendu, mais de la réponse qu’il a faite. Je
me souviens d’avoir lu une fois un « Ah, ça, c'est bien de l'humour à la
Jones. » »
L.N. : Quel a été l'incident le plus burlesque que vous ayez vécu
lors d'un de vos cours ?
H.J. : « J'ai eu droit à
deux passages de cyclistes, qui sont entrés, pendant que je faisais cours, par
les portes battantes de l’auditoire Janson, et à des années de distance. L’un
des deux m'a salué, au passage, très gentiment. Au total, j’ai trouvé que
c’était plutôt surprenant et rigolo. Et il y a un événement, qui n'est pas
burlesque celui-là, mais que j'ai trouvé très mignon. Je peux le dire
maintenant que je suis en fin de carrière, car il ne risque plus de se
reproduire.. C'était un étudiant qui voulait offrir à sa petite copine un
bouquet de fleurs à l’occasion de son anniversaire. Le fleuriste est arrivé dans le Janson, avec
le bouquet de fleurs en mains. Je me suis interrompue et lui ai dit « De
quoi s'agit-il ? », « C'est un bouquet que je dois remettre à
Mademoiselle X ». L’étudiante était assise dans l’auditoire, elle est
devenue cramoisie, et je me souviens lui avoir dit « Voilà un souvenir que
vous garderez précieusement pour toute votre existence ». Incident
touchant, seulement j'ai demandé aux étudiants de ne pas le reproduire pour
éviter qu’à chaque cours il n’y ait des allées et venues de fleuristes, vu le
nombre élevé d’étudiantes inscrites en première année ! ».
L.N. : Est-il vrai que les professeurs font un classement des
professeurs qui mettent le plus leurs étudiants en échec ?
H.J. : « Non, ça c'est
complètement insensé. Je vous garantis que cela n'existe pas. Il n'y a pas de
classement des professeurs qui mettent en échec, comme il n'y a pas de quotas,
ce sont des rumeurs d'étudiants : les quotas d'étudiants qu'il faut
recaler ou laisser passer font partie de la mythologie terrorisante qui circule
parmi les étudiants. C'est une rumeur complètement fausse. Maintenant, au sein
d’un jury d'année, il peut se faire que des professeurs notent plus sèchement
que d'autres, mais, curieusement, ces professeurs sont souvent très
bienveillants en délibération, parce qu'ils sont conscients de la sévérité de
leur notation. Et d'autres professeurs notent parfois de manière très
généreuse, mais se montrent eux relativement plus inflexibles en délibération,
parce qu'ils considèrent qu'ils ont déjà noté généreusement les étudiants. Il
faut tout examiner, en réalité. De manière générale, je trouve que les délibérations fonctionnent très bien
dans cette faculté, ce sont de véritables délibérations. Il existe d'autres
facultés, où seuls les chiffres parlent. Il convient de tordre le cou à cette
mythologie des étudiants. C'est un peu comme les enfants qui aiment avoir peur,
qui aiment les histoires avec des ogres, des ogresses et des monstres. J'ai un
jour été appelée chez le vice-recteur à la politique étudiante qui avait mis en
tableaux les résultats d'une session de première en droit en couleurs :
les notes inférieures à 8 en rouge, les notes de 8 à 10 en orange, et à partir
de 10 en vert. Il n'y avait pas de colonnes verticales rouges, le rouge apparaissait
un petit peu partout, et, en général, pour le même étudiant, le rouge
apparaissait dans plusieurs colonnes. Donc, rien ne permettait de démontrer
qu’un, deux ou trois professeurs étaient plus « buseurs » que les
autres. La dispersion des couleurs était, si j’ose dire, assez harmonieuse.
Ceci dit, incontestablement, il y a des professeurs qui notent plus sèchement
que d'autres. À mon sentiment, il y a bien d’autres questions qui mériteraient
une réflexion facultaire, maintenant que le programme est fait. Par exemple,
sur le type de pédagogie que l'on cherche à réaliser : est-ce une
pédagogie encyclopédique ou bien une pédagogie de structure ? Il serait
ainsi utile d’enclencher une réflexion sur le support de cours, l'ampleur qu'il
doit présenter. J'avais ce type de réflexions à mon agenda décanal, simplement
Bologne est arrivé par le côté, par tribord, et j'ai été contrainte de donner
la priorité à Bologne sur les réflexions internes. Mais vous êtes là aussi pour
lancer des réflexions sur de pareils thèmes ! Je ne suis pas en train de
vous dire « Etudiants de tous les pays, sortez de l'ombre, unissez-vous et
faites la révolte! ». Mais il me semble que certaines thématiques
pourraient utilement être examinées à l’occasion. Faut-il déterminer l’ampleur
du support écrit par rapport à un volume horaire ? Et, si oui, qu'est-ce
qui serait de l'ordre du raisonnable ? Quel est l'objectif poursuivi par
les exercices pratiques, de manière générale, et, plus particulièrement, par
rapport au cours ex cathedra auquel ils sont attachés ? Est-ce vraiment
pratique ce que l'on y fait ? Faut-il initier l’étudiant à la rédaction
d’un bon travail ou/et lui apprendre à réaliser un bon exposé ? Il existe
nombre de sujets qui mériteraient que l’on s’y attache. »
Photo Prom Night Droit 2012 |
Par Yasmina Sharane
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire